Fruits défendus

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null   Nous penchant sur les mythes sumériens, nous avons vu le dieu Enki décréter le destin des plantes qu’on lui présente dans une scène qui ne peut manquer d’évoquer Adam nommant -selon la Bible- les animaux que Dieu lui amène.

   Mais ce mythe d’Enki et Ninhursag invite à un autre rapprochement, sur lequel nous nous penchons aujourd’hui : pour « connaître le coeur » de ces plantes, Enki les mange… Comment ne pas penser au fruit que la Bible désigne comme celui « de la connaissance », et qui sera mangé par Adam et Eve ? Le SEIGNEUR Dieu prescrivit à l’homme : « Tu pourras manger de tout arbre du jardin, mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais car, du jour où tu en mangeras, tu devras mourir » (Gn II, 16-17)

   Le Coran évoque également cet arbre que Dieu interdit à l’homme : Et Nous dîmes : « Ô Adam, habite le Paradis toi et ton épouse, et nourrissez-vous-en de partout à votre guise ; mais n’approchez pas de l’arbre que voici : sinon vous seriez du nombre des injustes » (Coran II, 35). Mais il n’est pas question ici de connaissance du bien et du mal : En chuchotant, Satan, afin de leur rendre visible ce qui leur était caché -leurs nudités- dit : « Votre Seigneur ne vous a interdit cet arbre que pour vous empêcher de devenir des Anges ou d’être immortels » (Coran VII, 20). Alors que c’est bien en faisant miroiter cette connaissance que le serpent biblique va tromper Eve : Or le serpent était la plus astucieuse de toutes les bêtes des champs que le SEIGNEUR Dieu avait faites. Il dit à la femme : « Vraiment ! Dieu vous a dit : Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin » La femme répondit au serpent : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas et vous n’y toucherez pas afin de ne pas mourir » Le serpent dit à la femme : « Non, vous ne mourrez pas, mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux possédant la connaissance de ce qui est bon ou mauvais » La femme vit que l’arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance. Elle en prit un fruit dont elle mangea, elle en donna aussi à son mari qui était avec elle et il en mangea (Gn III, 1-6)

   Prenons conscience de l’habileté du serpent : ce n’est pas lui qui parle le premier de l’arbre défendu, mais Eve, qui en toute bonne foi veut rectifier l’erreur contenue dans la question faussement innocente de son interlocuteur. Ce faisant, elle place « l’arbre de la connaissance » au milieu du jardin… Alors que c’est un autre arbre que la Bible avait mis au centre : Le SEIGNEUR Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger, l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais (Gn II, 9). Cet « arbre de vie » n’est jamais évoqué dans le Coran ; au contraire, c’est le fruit de l’arbre défendu qui est mensongèrement présenté par Satan comme permettant « d’être immortels ». Inversement, la Bible évoque la mortalité comme conséquence de cette transgression, que ce soit dans la mise en garde initiale de Dieu, que Eve ne manque pas de rappeler au serpent, ou dans la conclusion de ce récit : Le SEIGNEUR Dieu dit : « Voici que l’homme est devenu comme l’un de nous par la connaissance de ce qui est bon ou mauvais. Maintenant, qu’il ne tende pas la main pour prendre aussi de l’arbre de vie, en manger et vivre à jamais ! » (Gn III, 22). En mangeant le fruit défendu, l’homme se voit interdire un autre fruit qui auparavant lui était visiblement accessible… Il devient donc mortel.

   Cette conséquence néfaste, nous la retrouvons dans notre mythe sumérien : Ninhursag, jurant alors par le nom d’Enki : « Je ne poserai plus sur lui mon regard-de-vie : il en mourra ! » Et voilà que notre immortel succombe à huit maux, un pour chaque plante ingérée…

   Notre récit met alors en scène un tentateur : Mais le Renard, là présent, dit à Enlil : « Si je retourne Ninhursag, quelle sera ma récompense ? » Evidemment, le scénario est inversé : le renard sumérien va tenter celle qui inflige la sentence, alors que le serpent biblique tente celle qui va commettre la transgression ; mais le parallèle reste frappant.

   La déesse va revenir sur sa décision, et transformer en remède la source du mal : Ninhursag, ayant alors pris Enki dans son giron : « Qu’est-ce qui te fait mal, mon frère ? – Mon crâne me fait mal ! – Eh bien, je crée pour toi le dieu Abau [Père-des-Plantes-médicinales]. Qu’est-ce qui te fait mal, mon frère ? – Mes cheveux [siki] me font mal ! – Eh bien, je crée pour toi la déesse Ninsikila. Qu’est-ce qui te fait mal, mon frère ? – Mon nez [kiri] me fait mal ! – Eh bien, je crée pour toi la déesse Ninkiriutu. Qu’est-ce qui te fait mal, mon frère ? – Ma bouche [ka] me fait mal ! – Eh bien, je crée pour toi la déesse Ninkasi. Qu’est-ce qui te fait mal, mon frère ? – Ma gorge [zi] me fait mal ! – Eh bien, je crée pour toi la déesse Nazi. Qu’est-ce qui te fait mal, mon frère ? – Mon bras [A] me fait mal ! – Eh bien, je crée pour toi la déesse Azimua. Qu’est-ce qui te fait mal, mon frère ? – Mes côtes [ti] me font mal ! – Eh bien, je crée pour toi la déesse Ninti. Qu’est-ce qui te fait mal, mon frère ? – Mes flancs me font mal ! – Eh bien, je crée pour toi le dieu Enchag« 

   Le Coran ayant d’emblée posé l’homme comme mortel, il ne peut être question de trouver en celui-ci une conclusion comparable. Mais qu’en est-il de la Bible ? « Par la faute d’un seul la multitude a subi la mort » (Rm V, 15). Mais Paul, en rappelant cet enseignement biblique, ajoute : « Si par un seul homme, par la faute d’un seul, la mort a régné, à plus forte raison, par le seul Jésus Christ, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce et du don de la justice » (Rm V, 17). Et l’auteur du dernier livre de la Bible de nous présenter cette espérance en renouant avec l’image évoquée dans le premier livre : Au vainqueur, Je donnerai à manger de l’arbre de vie qui est dans le paradis de Dieu (Ap II, 7 ; voir également Ap XXII, 2). Le livre de la Genèse nous avait présenté les conséquences du geste irresponsable d’Adam et Eve ; le Nouveau Testament nous présente le remède.

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