L’Arche

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null   Dans un précédent article, nous avons entamé la lecture de récits mésopotamiens, bibliques et coraniques relatifs au Déluge. La catastrophe a été décidée, l’humanité semble condamnée à être rayée de la carte… Mais voilà qu’une intervention divine se produit, pour ordonner de construire une arche qui portera en elle l’avenir de la Création.

   Commençons par des extraits des narrations mésopotamiennes, les plus anciennes : « Atrahasîs, jette à bas ta maison, détourne-toi de tes biens pour te sauver la vie . Construit un grand bateau selon l’épure que j’ai tracée sur le sol. Cette embarcation aura forme équilatérale de 60 mètres de coté. Le bateau sera entièrement clos et toituré solidement. Que son calfatage soit épais et résistant. Tu appelleras ton vaisseau Sauve-Vie. Après y avoir chargé ton froment, tes biens, tes richesses, embarques-y ta femme, ta famille, ta parenté et tes ouvriers ainsi que des animaux sauvages, grands et petits, et des oiseaux du ciel » (Poème d’Atrahasîs) ; Et celui qui veillait ses précieux enfants, le toujours vigilant Ea répéta leur propos à la hutte de roseau : « Debout ! Debout ! Homme de Shuruppak, fils d’Ubar-Tutu, démolis ta maison, fabrique un bateau. Rejette la puanteur cadavérique de la richesse. Choisis de vivre et choisis d’aimer, choisis de t’élever et rend ce qui t’a été donné. Sois humble en fuyant pour survivre dans un navire où il n’y a aucune place pour les richesses. Embarque les vivants de toutes espèces et appareille après t’être assuré d’avoir une toiture étanche » (Epopée de Gilgamesh)
   Dans la Bible, c’est à Noé que Dieu s’adresse, et non à Atrahasîs ou à Ut-napishti fils d’Ubar-Tutu : « Fais-toi une arche de bois résineux. Tu feras l’arche avec des cases. Tu l’enduiras de bitume à l’intérieur et à l’extérieur (…) J’établirai Mon alliance avec toi. Entre dans l’arche, toi, et avec toi, tes fils, ta femme, et les femmes de tes fils. De tout être vivant, de toute chair, tu introduiras un couple dans l’arche pour les faire survivre avec toi ; qu’il y ait un mâle et une femelle ! (…) Et toi, prends de tout ce qui se mange et fais-en pour toi une réserve ; ce sera ta nourriture et la leur » (Gn VI, 18-19.21)
   Le personnage central du récit coranique est bien évidemment le même que dans la Bible : Nous lui révélâmes : « Construis l’arche sous Nos yeux et selon Notre révélation. Et quand Notre commandement viendra et que le four bouillonnera, achemine là-dedans un couple de chaque espèce, ainsi que ta famille, sauf ceux d’entre eux contre qui la parole a déjà été prononcée ; et ne t’adresse pas à Moi au sujet des injustes, car ils seront fatalement noyés. Et lorsque tu seras installé, toi et ceux qui sont avec toi, dans l’arche, dis : Louange à Dieu qui nous a sauvés du peuple des injustes. Et dis : Seigneur, fais-moi débarquer d’un débarquement béni. Tu es Celui qui procure le meilleur débarquement » (Coran XXIII, 27-29)

   Certains éléments sont évidemment commun aux trois traditions : ordre divin de construire une embarcation ; ordre d’embarquer des êtres vivants de toutes espèces… Nous trouvons également dans les textes mésopotamiens l’idée d’humilité et de pauvreté qui déplaisait tant aux notables à qui s’adressait Noé dans le Coran. Le texte biblique, lui, après une longue description des mensurations de l’Arche, introduit déjà l’idée, si chère à la religion juive, d’alliance. Quant au texte coranique, notons qu’il place la prière parmi les éléments indispensables à la survie des rescapés.
   La lecture symbolique chrétienne ne manquera pas de remarquer la recommandation de mettre « l’entrée de l’arche sur le côté » ; elle fera le lien avec cette précision de Jean : « Arrivés à Jésus, ils constatèrent qu’il était déjà mort et ils ne lui brisèrent pas les jambes. Mais un des soldats, d’un coup de lance, le frappa au côté, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau » (Jn XIX, 34). Voici par exemple ce qu’en dit St Augustin, évêque nord-africain de la fin du IVe siècle : « De ce côté ouvert, comme d’une porte de vie, sont sortis les Sacrements sans lesquels personne ne peut entrer dans la véritable vie. Cette eau salutaire tempère la soif ; elle nous purifie et nous sert de breuvage. La blessure du côté était figurée par l’ouverture que Noé reçut ordre de faire sur l’un des flancs de l’arche et par laquelle entrèrent les êtres animés qui ne devaient pas périr dans le déluge ; tout ceci était l’image de l’Eglise » (Traité CXX sur saint Jean)

   Reprenons maintenant l’Epopée de Gilgamesh, et sa narration du Déluge : “Quand brilla le matin suivant, un nuage noir grossi au loin, à l’horizonSoudain la lumière du jour se transforme en nuit, le frère ne voit plus son frère, le peuple du ciel ne se reconnaît plus. Les dieux étaient remplis de crainte du Déluge, ils s’enfuirent et se réfugièrent dans le ciel d’Anou, les dieux se tapirent, comme des chiens, contre le mur et restèrent immobilesPendant six jours et six nuits s’enflèrent les flots et la tempête, l’ouragan fit rage sur la terre”
   Tournons-nous maintenant vers Bible et Coran : En l’an six cent de la vie de Noé, au deuxième mois, au dix-septième jour du mois, ce jour-là tous les réservoirs du grand Abîme furent rompus et les ouvertures du ciel furent béantes. La pluie se déversa sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits (Gn VII, 11-12) ; Nous ouvrîmes alors les portes du ciel à une eau torrentielle, et fîmes jaillir la terre en sources. Les eaux se rencontrèrent d’après un ordre qui était déjà décrété… (Coran LIV, 11-12)

   Notons que si le récit mésopotamien évoque des dieux effrayés qui se tapissent “contre le mur du monde”, Bible et Coran ne sont pas en restes de précisions irréalistes avec les « ouvertures » ou « portes » du ciel. Il est assez étrange de voir certains polémistes, forts de leur littéralisme, décréter la “scientificité” de l’un de ces livres tout en la niant pour l’autre…
   Plus important est de remarquer que les “six jours et six nuits” du récit d’Ut-napishti sont remplacés dans le récit biblique par « quarante jours et quarante nuits ». Le chiffre n’a rien d’anodin, puisque c’est le temps que passe Moïse au sommet de la montagne lors du don des Tables de la Loi …Qu’il rangera d’ailleurs dans une Arche. C’est aussi le temps mis par Elie pour rejoindre l’Horeb, celui passé par Jésus dans le désert…

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