Les Prophètes comme Modèles ?

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null    Dans un précédent article, nous évoquions Abraham que le Coran donne en modèle aux musulmans : « Suivons la religion d’Abraham ! » (Coran II, 135)

 Le prophète de l’Islam est également présenté ainsi : En effet, vous avez dans le Messager de Dieu un excellent modèle, pour quiconque espère en Dieu et au Jour dernier et invoque Dieu fréquemment (Coran XXXIII, 21) ; Ceux qui croiront en lui (…) et suivront la lumière descendue avec lui, ceux-là seront les gagnants » (Coran VII, 157)

   Voici un commentaire sunnite de ce dernier passage : « Dans ce passage du Coran, ordre est donné de suivre la Lumière descendue avec le Prophète Muhammad, SAW : il n’est pas fait mention ici textuellement du suivi du Coran, mais plutôt du suivi de la Lumière Révélée, et ce, justement, afin que cette injonction porte sur l’ensemble des prescriptions révélées au Prophète Muhammad, SAW, que celles-ci l’aient été au travers du Coran… ou par le biais de la Révélation non lue –Wahiy Ghay Matlu’– qui se reflète et se manifeste à travers les propos et les actes du Prophète Muhammad, SAW »

   De ce commentaire, il ressort que cet « excellent modèle » qu’est Muhammad selon le Coran doit être imité tant que faire ce peut afin de suivre « la lumière descendue avec lui ». Cette conception est centrale en islam, puisqu’elle fait ainsi de la Sunna -cette fameuse « Révélation non-lue » mentionnée par notre auteur- la deuxième source du droit musulman après le Coran.

   Les premiers chrétiens se référaient aussi, quoique de manière limitée, à leurs prédécesseurs : Pour la souffrance et la patience, le modèle à prendre, frères, ce sont les prophètes, qui ont parlé au nom du Seigneur (Jc V, 10). Mais la question du Modèle -au sens d’une personne représentant l’idéal à atteindre en tant qu’être humain- ne se pose réellement que pour une seule personne : Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même de Christ (1 Co XI, 1) ; Et vous, vous nous avez imités, nous et le Seigneur (…) Ainsi, vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants (1 Th I, 6.7)

   Que l’on soit Apôtre ou simple croyant, le chrétien devient modèle s’il se conforme à l’unique Modèle : le Christ. Ce rapport au Christ peut sembler très familier aux musulmans, puisqu’il semble être comparable au rapport qu’ils entretiennent avec leur prophète. Mais il ne doit pas cacher le fait que le christianisme, en ceci, innove par rapport au judaïsme. Une telle conception est en effet absente de l’Ancien Testament.

   Ce que nous trouvons, c’est une fonction d’arbitrage. En voici un exemple : Débora, une prophétesse, femme de Lappidoth, jugeait Israël en ce temps-là. Elle siégeait sous le Palmier de Débora, entre Rama et Béthel, dans la montagne d’Éphraïm, et les fils d’Israël montaient vers elle pour des questions d’arbitrage (Jg IV, 4-5)

   Ainsi en allait-il pour Israël avant que le peuple ne réclame un roi ; un fonctionnement qui avait pris sa source auprès de Moïse : Moïse dit à son beau-père : « C’est que le peuple vient à moi pour consulter Dieu. S’ils ont une affaire, ils viennent à moi ; je règle le litige qu’ils ont entre eux et je fais connaître les décrets de Dieu et ses lois ». Le beau-père de Moïse lui dit : « Ta façon de faire n’est pas bonne. Tu vas t’épuiser, ainsi que ce peuple qui est avec toi. La tâche est trop lourde pour toi. Tu ne peux l’accomplir seul. Maintenant, écoute ma voix ! Je te donne un conseil et que Dieu soit avec toi ! Sois donc le représentant du peuple en face de Dieu : c’est toi qui porteras les affaires devant Dieu, qui aviseras les gens des décrets et des lois, qui leur feras connaître le chemin à suivre et la conduite à tenir. Et puis, tu discerneras, dans tout le peuple, des hommes de valeur, craignant Dieu, dignes de confiance, incorruptibles et tu les établiras sur eux comme chefs de milliers, chefs de centaines, chefs de cinquantaines et chefs de dizaines. Ils jugeront le peuple en permanence. Tout ce qui a de l’importance, ils te le présenteront, mais ce qui en a moins, ils le jugeront eux-mêmes. Allège ainsi ta charge. Qu’ils la portent avec toi ! Si tu fais cela, Dieu te donnera ses ordres, tu pourras tenir et, de plus, tout ce peuple rentrera chez lui en paix ». Moïse écouta la voix de son beau-père et fit tout ce qu’il avait dit (Ex XVIII, 15-24)

   Rien d’incongru, donc, dans le fait que le Coran accorde au prophète de l’Islam ce même rôle d’arbitre : « Ils ne seront pas croyants aussi longtemps qu’ils ne t’auront demandé de juger de leurs disputes et qu’ils n’auront éprouvé nulle angoisse pour ce que tu auras décidé, et qu’ils se soumettent complètement » (Coran IV, 65)

   Mais nous avons vu plus haut que la Sunna dépasse le cadre du simple l’arbitrage puisqu’elle englobe propos et actes.

   Revenons donc à la comparaison entre islam et christianisme, seule pertinente quant à cette notion de « Modèle ». Notre auteur se référait à ce qu’il nommait « Révélation non-lue », en tant qu’ensemble de prescriptions destinées aux musulmans. Jusqu’à quel point la vision chrétienne rejoint-elle cette conception ?

   L’évêque Papias (cité par Eusèbe) nous rapporte comment furent originellement compilées les propos -en grec, logia– de Jésus : « Matthieu réunit donc en langue hébraïque les logia« . L’apocryphe dit « Evangile de Thomas«  reflète ce type d’organisation primitive. Mais la nécessité se fit sentir d’une présentation circonstanciée, qui nous présentent non seulement des logia de Jésus, mais aussi des situations où ses gestes “parlent”, eux-aussi.

   Cette manière de faire est bien dans la lignée des prophètes de l’Ancien Testament, pour qui le geste, quand il accompagne la prédication, a non pas le sens d’un modèle à suivre à la lettre, mais celui d’une vivante parabole. En voici une exemple : Ainsi parle le SEIGNEUR : « Fabrique-toi des liens et des barres de joug. Tu en mettras sur ton cou (…) Quant à Sédécias, roi de Juda, je lui fais la déclaration suivante : Placez votre cou sous le joug du roi de Babylone ; servez-le, lui et son peuple, et vous vivrez » (Jr XXVII, 2.12). A la demande de Dieu, Jérémie va appuyer le sens de sa prédication par un acte concret, illustrant par un joug bien réel celui, figuré, auquel il appelle les habitants de Jérusalem.

   En Jésus, nous dit Jean, « le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn I, 14). Non seulement ses logia, mais aussi ses actes sont Paroles… « Toute la vie du Christ est Révélation du Père : ses paroles et ses actes, ses silences et ses souffrances, sa manière d’être et de parler » (Catéchisme de l’Eglise Catholique, § 516)

   Il ne peut donc être question d’imiter cette Parole en tant que telle. Alors, que faire ? Jésus lui-même nous montre en quoi réside cette notion de Modèle : « Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn XV, 12) ; Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car Il fait lever Son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes (…) Vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait (Mt V, 44-45.48). Dans ce « comme » réside toute la nouveauté du commandement laissé par le Christ.

   Paul, au fond, ne disait pas autre chose : Imitez Dieu, puisque vous êtes des enfants qu’il aime ; vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés (Eph V, 1-2)

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